Saint Thomas enseigne que depuis la venue du Fils unique aucune révélation désormais ne saurait être théologale, c’est-à-dire nous apprendre quelque chose de nouveau, qui ne serait pas contenu dans le dépôt de la Foi, sur Dieu ou en ordre à la vérité de Dieu comme premier objet de foi. Les révélations nouvellement produites dans l’Eglise se rapportent non pas à ce que Dieu est, mais à ce que Dieu veut de nous, elles sont d’ordre pratique et pour la direction des actes humains. (…)
En général on s’exposerait à l’erreur et à l’illusion si l’on prenait une révélation privée pour immédiate règle d’action. La règle des actes humains c’est la raison, surélevée par la foi (et pas les dons du Saint-Esprit), et c’est à cette règle-là, non aux visions et révélations, que nous devons soumettre nos actes. Mais les révélations privées sont comme des feux dans le ciel ou des fusées éclairantes qui attirent notre attention et projettent une lueur sur tel ou tel aspect de la situation qui aurait pu échapper à la faible et distraite raison humaine. Alors, ainsi alerté, voilà l’homme en mesure d’user de son jugement prudentiel, œuvre de raison et de foi, comme d’une règle d’action d’une rare et surprenante justesse, en des occasions particulièrement difficiles. (…)
Il y a cependant des cas exceptionnels, dont le cas de Jeanne d’Arc est un exemple éminent. Ces cas exceptionnels se distinguent par deux caractères particuliers : en premier lieu la révélation privée dont il s’agit alors est révélation « parfaite » ou intérieurement « évidente », et l’âme ainsi instruite sait donc avec une entière certitude que c’est bien Dieu qui l’instruit ; en second lieu cette révélation, tout en étant de soi révélation privée, concerne non pas le bien privé d’un individu mais le bien commun du corps social, et avant tout de l’Eglise ou de la chrétienté.
Les révélations privées qui concernent ainsi le bien commun du corps social, et avant tout de l’Eglise ou de la chrétienté, confèrent par elles-mêmes une mission, et une mission publique. Elles constituent celui qui les reçoit dans un office déterminé qui a ses exigences propres, elles font de lui un ambassadeur de Dieu, un messager, un « ange ». (…)
Les révélations privées qui concernent ainsi le bien commun du corps social, et avant tout de l’Eglise ou de la chrétienté, confèrent par elles-mêmes une mission, et une mission publique.
(…) La révélation reçue l’enchaîne à un mandat divin. Du même coup elle devient règle impérative – qui n’abolit certes pas la liberté du jugement pratique, mais que le jugement pratique a le devoir de mettre en œuvre.
Bien plus, l’âme perdrait la foi si elle refusait ou cessait de croire en la révélation reçue. C’est là une conséquence de l’autre caractère exceptionnel que nous avons noté dans les révélations privées en question : elles sont des révélations expresses ou « parfaites », accompagnées de la certitude que c’est Dieu qui instruit, autrement dit données avec évidence – une évidence qui porte sur celui qui révèle et sur le fait même de la révélation reçue.
Jacques Maritain, De l’Eglise du Christ, DDB, 1970, P. 372-375