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L’Europe est fille du christianisme et elle ne veut plus rien savoir de son origine. Comment pourrait-elle savoir qui elle est et où elle veut aller? Pierre Manent nomme magistralement cette situation d’une Europe postchrétienne. Dès lors, la question est: comment évangéliser les Européens postchrétiens pour lesquels la Bonne Nouvelle est une Vieille Nouvelle?

Les Européens ne savent que penser ni que faire du christianisme. Ils en ont perdu l’intelligence et l’usage

La perplexité et le doute qui marquent toujours plus profondément la conscience de soi des Européens – qui sommes nous? – tient pour une large part, il me semble, à une cause qui n’est pour ainsi dire jamais mentionnées: les Européens ne savent que penser ni que faire du christianisme. Ils en ont perdu l’intelligence et l’usage. Ils ne veulent plus en entendre parler. (…) La dynamique de l’histoire européenne s’est déployée dans une confrontation incessante entre d’un côté l’attrait de la force, le désir de gloire, l’affirmation de la volonté et de la liberté humaines, et de l’autre l’accueil, hésitant ou fervent, de la condescendance aimante du Dieu-fait-homme, le choix suspendu à l’aide d’en-haut, d’une vie d’obéissance filiale au Père commun. Jamais ailleurs qu’en Europe la liberté humaine n’a été exposée à une telle amplitude des possibles, la volonté humaine à une telle alternative d’une telle profondeur. (…)

Depuis peu cependant, l’Europe a décidé d’ignorer cette histoire, de déclarer forclose cette possibilité. Elle a décidé de naître de nouveau. A nouvelle naissance, nouveau baptême, ce sera un baptême d’effacement. Elle le déclare publiquement, elle le prouve par ses actions: l’Europe n’est pas chrétienne, elle ne veut pas l’être. Elle veut bien être autre chose, elle est entièrement ouverte à toutes les autres possibilités, elle veut bien même n’être rien, n’être que le possible de tous les possibles, mais elle ne veut pas être chrétienne. (…)

L’opinion qui gouverne l’Europe est installée dans une inintelligence tranquille de la question religieuse, qui est, le rappelons-le, la question de Dieu, et non pas celle des « opinions » religieuses, portion indéfinie de la masse informe des « opinions humaines ». Elle ne considère la question de Dieu que pour la tenir à distance. Elle n’y touche que pour n’en être pas touchée.

 

Pierre Manent, Pascal et la proposition chrétienne, Paris, Grasset, p. 7-9