O mon Dieu, donnez-nous enfin le chef de guerre, vaillant comme un archange et qui sache prier
Hauviette
Jeannette, ils sont sauvés !
Jeannette
Ceux de monsieur saint Michel ?
Hauviette
Ils sont sauvés ! ils sont sauvés ! Ils sont sauvés depuis trois semaines !
Jeannette
O mon Dieu ! vous m’avez exaucée !
(…)
Jeannette
Dis-moi seulement comme c’est arrivé.
Hauviette
Ce n’est pas difficile à savoir : Il paraît qu’ils étaient tous, dans la place, des bons Français ; tous les matins ils faisaient bien leur prière ; toute la journée ils se battaient bien ; et puis le lendemain ils recommençaient. C’est tout.
Un assez long silence.
Jeannette
Mon Dieu, vous nous avez cette fois exaucées ;
Vous avez entendu ma prière de folle,
Et ma vie à présent ne sera plus faussée.
O mon Dieu, vous m’avez cette fois exaucée.
Vous avez cette fois entendu ma parole ;
Vous avez sauvé ceux pour qui j’avais prié.
Un silence.
Vous nous avez montré mieux que par la parole
Ce qu’il faut que l’on fasse après qu’on a prié :
Car les bons défenseurs de la montagne sainte,
Après avoir prié tous les matins là-bas,
Partaient pour la bataille où sans trêve, et sans plainte
Ils restaient tout le jour, capitaine et soldats.
Voilà ce qu’il nous faut : c’est un chef de bataille
Qui fasse le matin sa prière à genoux
Comme eux, avant d’aller frapper dans la bataille
Aux Anglais outrageux. Mon Dieu donnez-le nous.
O mon Dieu, donnez-nous enfin le chef de guerre,
Vaillant comme un archange et qui sache prier,
Pareil aux chevaliers qui sur le Mont naguère
Terrassaient les Anglais.
Qu’il soit chef de bataille et chef de la prière.
Charles Péguy, A Domrémy, 1897, Œuvres poétiques complètes, Gallimard, Bibliothèque de la Pléiade, p. 44-46