Dans l’aridité du quotidien personnel et social, on peut envier les saints qui contemplent Dieu pour l’éternité. Telle est bien la situation de sainte Jeanne d’Arc. Mais il serait faux de penser qu’elle se désintéresse de la mission que Dieu lui a confiée. Bien au contraire, comme tous les saints, la mission propre que Jeanne a reçue de Dieu, a accomplie et qui lui vaut leur gloire dans le ciel, se continue sur un mode suréminent dans la vie éternelle, tant que l’histoire de France dont elle a été partie prenante continue.
Que fait sainte Jeanne d’Arc dans la vie éternelle ? La question est moins oiseuse qu’elle n’y paraît, et sa méditation peut nous donner quelque précieuse lumière sur notre condition présente autant que sur notre avenir.
Sainte Jeanne est éternellement bienheureuse d’abord en tant qu’elle voit l’essence divine face-à-face, qui comble absolument son désir et la rassasie au-delà de toute mesure. Possédant Dieu, elle possède tout ce qu’elle peut vouloir et espérer, elle jouit de ce Bien infini et s’y repose. Toutes ses facultés sont saisies et comme saturées par la présence de l’Unique. Elle est tout à la fois purement passive, recevant tout de Dieu, accueillant le libre don que Dieu fait de lui-même, et parfaitement active, en tant que sa contemplation de l’essence divine est l’acte le plus intense et engageant qui puisse être. Elle jouit aussi bien sûr de la présence glorieuse du Christ qu’elle a tant aimé et si bien servi sur cette terre. Telle est sa béatitude essentielle. Elle est aussi en pleine communion avec les autres bienheureux, en particulier ceux qu’elle aima en sa vie, sa famille et ses compagnons d’arme – s’ils sont au ciel.
En outre, elle est au ciel la même que sur la terre. Rien de ce qu’elle fut et fit de bon ne s’est perdu, mais tout a été sauvegardé, purifié et pleinement accompli. Sa vie passée de jeune fille, chrétienne, lorraine, française, vierge, etc., demeure dans la gloire.
Tous ses actes de vertu et de charité sont manifestes et lui valent une grande gloire et c’est d’ailleurs cette condition glorieuse de sainte Jeanne que nous vénérons et admirons.
Ne croyons pas que la vision de l’essence divine, qui fait toute sa béatitude, lui interdit de se soucier de la terre. Au contraire, c’est parce qu’elle est totalement unie à Dieu qu’elle veut ce qu’il veut et peut collaborer activement et intensément, à la réalisation de son dessein de salut. Comme le dit le Catéchisme de l’Église catholique, « dans la gloire du ciel, les bienheureux continuent d’accomplir avec joie la volonté de Dieu par rapport aux autres hommes et à la création toute entière1». On peut même suggérer, avec Hans Urs von Balthasar, que la mission propre que les saints ont reçue de Dieu, ont accompli et qui leur vaut leur gloire dans le ciel, se continue sur un mode suréminent dans la vie éternelle, tant que l’histoire dont ils furent partie prenante continue. « Une mission commencée sur terre, si elle est réellement donnée par le Christ, ne s’interrompt pas avec la mort, mais s’épanouit au contraire dans la vie éternelle2». Suivant Adrienne von Speyr, « le sceau dont l’Esprit marque un individu est indélébile. Il est inconcevable qu’un être humain, par exemple Jeanne d’Arc ou la petite Thérèse, après avoir exercé un rôle déterminé sur la terre ne garde pas cette mission au ciel.
1CEC, §1029
2Hans Urs von Balthasar, La Dramatique divine, IV. Le dénouement, Namur, Culture et vérité, 1993, p.359
Jeanne est au ciel la même que sur la terre. Rien de ce qu’elle fut et fit de bon ne s’est perdu, mais tout a été sauvegardé, purifié et pleinement accompli. Sa vie passée de jeune fille, chrétienne, lorraine, française, vierge, etc., demeure dans la gloire.
La mission et le charisme propre d’un individu peuvent être élargis et prolongés, mais jamais supprimés : le rôle demeure1». De même que Thérèse promettait de « passer son ciel à faire du bien sur la terre », Jeanne, dont la mission fut si rapidement brisée, ne cesse sans doute pas de la poursuivre au ciel. Jeanne d’Arc est Jeanne d’Arc pour l’éternité, et elle n’arrêtera jamais de se soucier du bien politique et religieux de la France, et de remplir cette mission qu’elle avait reçue du Seigneur. Sa vie n’est pas qu’un souvenir passé, un exemple glorieux dont nous pourrions nous inspirer et qu’il nous faudrait imiter. Ce qu’elle fit, elle continue de le faire, auprès de Dieu, et même d’autant mieux que sa condition est plus parfaite. Notre lien avec elle n’est pas coupé par sa mort, mais au contraire, il est renforcé, dans la communion des saints2.
De plus, elle peut prier Dieu pour nous d’autant mieux qu’elle lui est plus proche et qu’elle le connaît et l’aime davantage.
1Cité ibid. p.377
2Voir Lumen Gentium, §49, cité in CEC, §955 : « L’union de ceux qui sont encore en chemin avec leurs frères qui se sont endormis dans la paix du Christ ne connaît pas la moindre intermittence ; au contraire, selon la foi constante de l’Église, cette union est renforcée par l’échange des biens spirituels ».
Le Père Garrigou-Lagrande remarquait que « comme ils sont si près de la source de tout bien, ils [les bienheureux] nous comblent de bienfaits. Ils puisent en Dieu pour nous ce que sa bonté veut nous donner. Leur amour pour nous, loin d’être diminué, est transformé.1» C’est dire que Jeanne aime désormais qu’elle est au ciel, la France et les Français d’autant plus et mieux. Parvenue pleinement à elle-même, elle soutient de sa prière fervente et de sa charité incessante notre pays, qu’elle n’a jamais oublié. De ce fait, comme Jacques Maritain le suggérait, il vaudrait mieux prier les saints pour leurs propres intentions, plutôt que pour les nôtres, « pour l’accomplissement de leurs dessein à eux et de leurs désirs à eux touchant les choses d’ici-bas, pour qu’ainsi la volonté du ciel s’accomplisse davantage sur la terre2». N’est-ce pas ce que nous faisons en priant sainte Jeanne pendant cette neuvaine de neuf années ? Que notre volonté soit aussi la sienne, pour que la volonté de Dieu soit faite sur la terre comme au ciel !
Élie Collin
1Réginald Garrigou-Lagrange, L’éternelle vie et la profondeur de l’âme, Paris, DDB, 1950, p.334-335
2Jacques Maritain, Approches sans entraves, Paris, Fayard, 1973, p.465