Comment réagir au choix de Jeannette de tout quitter? Ses proches ont dû prendre position. Est-elle folle? Orgueilleuse? Appelée par Dieu? Comment discerner l’irruption du surnaturel dans l’histoire? Et comment y répondre? Questions pérennes!
Jean (fiancé d’Hauviette)
Un fille n’est pas née pour cela. A qui feras-tu croire que Dieu donnera l’ordre à une fille de dix-sept ans, qui ne sait ni lire ni écrire, d’aller délivrer le Roi de Bourges et d’en faire un Roi de France ? Ça arrive dans les chansons, ces choses-là : En passant par la Lorraine, avec des sabots. Mais pas dans la réalité.
Hauviette
Tu es un sot.
Jean
Je ne suis aussi sot que tu veux bien le dire, Hauviette, et je comprends les choses. Je sais que les personnages dont on nous parle aux prêches étaient souvent des enfants, des jeunes filles, et que les témoignages les plus purs ont toujours été confiés à une main très petite. Mais je sais aussi que pour chacun de nous, il y a un moment où l’on croit être ce personnage, où l’illusion est la plus facile. Tous les petits enfants, Hauviette, dans leur oreiller, délivrent la patrie, inventent l’imprimerie ou la poudre, éclairent le monde sans flammes, et font régner la vérité autour des saints sépulcres. Le malheur commence lorsqu’on croit encore à de tels rêves. Cela a été le malheur de Jeannette.
Hauviette
Mais si Jeannette est de ceux par qui les saints-sépulcres sont toujours délivrés ? Si elle est de ceux qui voyageront sans ailes et brûleront les remparts ennemis ? Comment peux-tu le savoir ?
Jean
Et elle, comment peut-elle le savoir ? Qui peut être assez sûr de soi pour ne pas peser d’un côté toute cette terre lourde aux semelles, et le feu dans la cheminée, et les enfants qui ont besoin d’être mouchés, et d’avoir leur serviette nouée autour du cou, et la mère dont tu as vu les pleurs tout à l’heure, et de l’autre côté seulement ce rêve, ce fantôme, cet orgueil en buée et en nuages – car ce n’est que de l’orgueil ! Qui ayant pesé ces deux poids, l’un de réalité, l’autre d’ombre, peut être assez sûr de soi pour s’en aller ?
Hauviette
Ceux qu’on appelle les saints, et ceux qu’on appelle les héros.
Robert Brasillach, Domrémy, Les sept couleurs, 1961, p. 70