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En son temps, Jeanne lutta pour libérer le Royaume de France, lequel était envahi et ravagé par les Anglais. Libérer la France c’était alors en chasser les Anglais. Mais aujourd’hui ? Pour supplier Jeanne de nous libérer, il faut se demander qui occupe et ravage la France, qui s’y est si largement établi qu’on ne voit plus comment s’en débarrasser sans une sainte. Un petit événement, presque un fait divers, peut nous éclairer. Le 6 juillet dernier, la Commission européenne a de nouveau autorisé l’usage du glyphosate. Beaucoup ont crié au scandale, à juste titre. Mais il y a là bien plus qu’un scandale.

 

L’agriculture moderne fonctionne avec des intrants, des produits chimiques qu’on ajoute à la terre. Ces intrants sont les engrais chimiques et les pesticides (insecticides, fongicides et herbicides). Le glyphosate est un herbicide, un désherbant bien connu sous son nom commercial de Round Up, que les particuliers utilisaient pour désherber les allées du jardin, et que les agriculteurs répandent pour éliminer les mauvaises herbes afin que le maïs ou le soja poussent mieux. Il a été inventé par Monsanto dans les années 70.

Pendant des années Monsanto l’a prétendu sans danger pour l’homme. Comme il est très efficace et bon marché, il est rapidement devenu le pesticide le plus utilisé au monde. On n’a pas de chiffres exacts, mais en gros il représente à lui tout seul un quart des produits chimiques déversés volontairement dans l’environnement. Résultat : on en retrouve partout, dans les aliments, dans l’air, dans la terre, dans l’eau. On en retrouve en Antarctique et dans les urines de 99.8 % des Français.

Le désastre écologique est massif : en détruisant les plantes le glyphosate détruit les écosystèmes. Plus de fleurs des champs, plus d’abeilles. En 20 ans, 60 % des oiseaux des champs et 75 % des insectes ont disparu. En 2015, le CIRC, l’agence dépendant de l’OMS qui fait autorité en la matière, publie les résultats d’années d’études : le glyphosate est cancérigène probable. D’autres instituts de recherche, comme l’INSERM en France, confirment. Rien qu’aux Etats-Unis 138 000 personnes font alors un procès à Monsanto parce qu’ils ont attrapé un cancer en utilisant le glyphosate qu’on leur avait dit être inoffensif. A l’échelle de la planète, il s’agit donc de millions de morts.

Et pourtant le scandale continue. Les agences de régulation internes à chaque pays, pour l’Europe l’EFSA, refusent de classifier le glyphosate comme substance cancérigène probable. Pourquoi ? Les Monsanto papers ont révélé de la corruption ainsi qu’un lobbying contraignant les agences de réglementation à ne s’appuyer que sur les données fournies par Monsanto, en écartant les études scientifiques indépendantes.  Un large consensus scientifique reconnaît que le glyphosate est cancérigène, mais Monsanto a fait en sorte que le cadre légal soit si exigeant, tatillon, étroit qu’il n’y a jamais assez de preuves pour l’interdire.

Ce scandale politique et sanitaire ressemble à celui des fabricants de cigarettes dans les années 50 : tout le monde sait mais personne ne dit rien. Ce scandale n’est pourtant que la face émergée du problème glyphosate. Pour en saisir toute la profondeur, il faut intégrer les OGM.

Les OGM ont été développés dans les années 90 par Monsanto. On manipule génétiquement des semences pour les rendre résistantes au glyphosate, on appelle cela « round up ready ». Aujourd’hui, 85 % des OGM sont des semences transformées pour résister au glyphosate. L’idée est simple : avec ce couple round up – round up ready, on détruit tout dans la nature sauf ce qu’on a décidé de faire pousser. Sur ce couple repose toute l’agro-industrie. Il permet par exemple au Brésil de déforester et de semer du soja OGM avec quasiment aucune main d’œuvre, donc de faire des profits importants. Il suffit de quelques tracteurs pour défricher, labourer et semer les semences round up ready, et d’un petit avion pour répandre régulièrement le round up. Comme la mécanisation coûte cher, seules les grandes parcelles sont viables.

Avec le glyphosate et ses OGM l’agriculture s’affranchit de la main d’œuvre et des écosystèmes, des paysans et des insectes : alors débute l’agro-industrie, l’agriculture capitaliste, où des ouvriers agricoles produisent en masse et à bas coût des marchandises alimentaires dans le seul but de générer du profit.

Fin de la paysannerie par suppression de la main d’œuvre, déqualification du travail, mécanisation, remplacement des agricultures locales vivrières par de vastes monocultures, exode rural. Avec le glyphosate et ses OGM l’agriculture s’affranchit de la main d’œuvre et des écosystèmes, des paysans et des insectes : alors débute l’agro-industrie, l’agriculture capitaliste, où des ouvriers agricoles produisent en masse et à bas coût des marchandises alimentaires dans le seul but de générer du profit.

L’agriculture moderne vient du glyphosate et dépend du glyphosate. Elle n’en sortira que lorsqu’elle aura trouvé son remplaçant, un autre glyphosate encore plus destructeur, qu’elle nous certifiera inoffensif, puis quelques décennies plus tard on s’étonnera que ce poison empoisonne. En réalité, l’industrie agro-alimentaire ne sortira jamais du glyphosate.

Le glyphosate provoque des désastres écologiques et humains, mais sortir du glyphosate c’est sortir de l’industrie agro-alimentaire, ce que personne ne veut. Qui veut sortir du glyphosate et des OGM ? Pas la FNSEA. Si on interdit le glyphosate en France, les mauvaises herbes vont pousser dans les champs, les rendements vont baisser, les prix de revient augmenter et nos agriculteurs seront laminés par la concurrence étrangère. Les politiques non plus ne veulent pas interdire le glyphosate. Non seulement parce que la production de blé est un instrument de puissance. Mais aussi parce que le Sri Lanka a essayé en 2021, interdisant tous les intrants, y compris le glyphosate, et convertissant toute son agriculture au bio. En un an, la production de riz a chuté de 30 % et celle de maïs de 60 %, contraignant le pays à importer sa nourriture avant de réautoriser les intrants.

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Plus largement personne ne veut sortir du glyphosate, y compris ceux qui s’indignent devant le scandale de son autorisation. Le glyphosate, avec la mécanisation, a détruit la paysannerie en rendant la main d’œuvre inutile : il y avait 30% de paysans en France en 1960 contre 1,5% aujourd’hui. La permaculture, comme au Bec-Hellouin, marche très bien, mais elle ne parvient pas aujourd’hui à produire suffisamment les aliments caloriques comme les céréales, les oléagineux ou les pommes de terre, parce qu’ils nécessitent beaucoup de main d’œuvre. Renoncer au glyphosate c’est nécessairement le remplacer par de la main d’œuvre, désindustrialiser l’agriculture, parcourir à l’envers le chemin de l’exode rural, renouer avec 30 % de paysans en France. Le retour à la terre concernerait des millions de Français. Qui a les moyens d’acheter de la terre, s’il reste assez de terres fertiles en France ? Qui a les capacités physiques ? Qui a le savoir-faire ? Qui a envie de quitter le confort de la vie urbaine et tertiarisée pour aller vivre au cul des vaches ? Pas beaucoup, pas assez, donc on a des tracteurs, du glyphosate, des OGM, des cancers, un effondrement écologique. Le glyphosate n’est pas seulement un scandale sanitaire, c’est surtout un mode de vie industrialisé qui nous rend incapables de sortir du glyphosate. C’est pourquoi au fond tout le monde est très content que l’Union européenne n’écoute pas le CIRC.

Ce n’est donc pas seulement parce qu’elle est corrompue que l’Union européenne autorise le glyphosate, c’est parce qu’elle n’a pas le choix. Le glyphosate est un poison, mais celui qui ne l’utilise pas coule, à moins que tout le monde n’arrête en même temps et que toutes les sociétés basculent dans une économie rurale désindustrialisée, ce qui est peu probable. Le capitalisme a mis en place un système agro-industriel qui nous détruit mais dont nous ne parvenons pas à nous libérer. La leçon du glyphosate, bien plus que le scandale politico-sanitaire, c’est que l’homme est enfermé, pris au piège du système techno-capitaliste. Il est effectivement plus facile d’imaginer la fin de l’humanité que celle du capitalisme.

 

Jeanne2031