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« ‘’Une femme a perdu le royaume, une fille le sauvera’’, disait Jeanne, avant de quitter son village. La femme, évidemment c’était Isabeau, la chienne du traité de Troyes, et la fille, c’était elle-même. Mais infiniment au-delà des mots et de leur application immédiate, il y a leur sens intérieur et prophétique. ‘’Ce qu’Eve a perdu, Marie le sauve.’’ L’époque était encore au mysticisme et c’est quelque chose de semblable que les contemporains durent entendre. Les paroles de la petite visionnaire de Domremy dépassaient assurément sa propre pensée. La ‘’femme ‘’, sans doute, pouvait être supposée vulgairement la France des deux ou trois siècles horribles qui avaient précédé, et la France à venir pouvait aussi être annoncée et préfigurée par la Vierge de Domrémy. Ah ! Il y avait bien autre chose !

Au sens mystique le plus profond, la vraie femme, l’unique femme est nécessairement la Vierge, et la Virginité parfaite est le tabernacle du Saint-Esprit. Le royaume abominablement profané du Fils de Dieu ne pouvait, au XVe siècle, être sauvé que par une vierge. Pour parler exactement, pour tout dire, il était nécessaire qu’une vierge l’enfantât, car ce royaume n’existait encore que dans la Pensée divine.

La Vocation de la Pucelle apparaît alors comme le prodige des siècles, le plus haut miracle depuis l’Incarnation. Cela en raison de la prééminence infinie du nouveau peuple de la promission chrétienne.

La Vocation de la Pucelle apparaît alors comme le prodige des siècles, le plus haut miracle depuis l’Incarnation.

La première femme venue est déjà tout un mystère, puisqu’on ne trouve pas mieux que le Paradis terrestre pour la symboliser. Elle centralise tellement toutes les convoitises et concupiscences humaines ! Mais la Vierge est l’objet de la concupiscence divine et l’Esprit-Saint qui est l’Amour même n’y résiste pas. Elle peut donc engendrer par Lui et c’est toute l’histoire de la mystérieuse Jeanne d’Arc donnant à Dieu un royaume qui n’existait pas visiblement avant elle et qui, sans elle, n’aurait pas pu naître. »

Léon Bloy, Jeanne d’Arc et l’Allemagne, (1916), Œuvres, Paris, Mercure de France, 1983, p. 161-162