Notre époque ne manque pas de sujets majeurs qui, bien que ne faisant pas tous les jours la une des journaux, doivent être l’objet d’une attention récurrente et soutenue. Tel est le phénomène musulman en Europe et plus particulièrement en France. Des millions de musulmans sont venus dans notre pays à partir du démantèlement de l’empire colonial français, puis par vagues successives encouragées par le patronat pour avoir une main d’œuvre à bas coût. Le regroupement familial a transformé une immigration de travail en une immigration de peuplement. La grande majorité des musulmans est née en France et constitue une minorité de citoyens toujours plus nombreuse. Le livre de Florence Bergeaud-Blackler Le Frérisme et ses réseaux, l’enquête1 permet de prendre la mesure d’un phénomène essentiel : le projet actuel d’islamisation de la société française. Le livre de cette anthropologue, chargée de recherches au CNRS, a suscité une polémique médiatique et scientifique2 révélatrice du caractère sensible d’un tel sujet.
Ce livre est important et doit être lu ; nous ne pourrons pas dire que nous n’étions pas prévenus.
1 Préfacé par Gilles Kepel, Paris, Odile Jacob, 2023, 400 pages, 24,90 euros
2 La dernière en date est la critique du politiste Haoues Seniguer : https://www.mizane.info/le-frerisme-et-ses-reseaux-un-essai-sature-de-jugements-de-valeur/ et la réponse de l’auteur : https://decolonialisme.fr/reponse-a-haoues-seniguer-par-lanthropologue-florence-bergeaud-blackler-chargee-de-recherche-hdr-cnrs/
Florence Bergeaud-Blackler nomme par « frérisme » non seulement l’organisation des Frères musulmans mais aussi la nébuleuse des réseaux, associations, think tanks et prédicateurs plus ou moins imprégnés de sa doctrine et de ses pratiques. Elle définit le frérisme « comme un projet intellectuel, politico-religieux, visant l’instauration d’une société islamique mondiale.1 » Et elle ajoute : « Le frérisme est un ‘’système d’action’’, fondé sur une Vision, sur une Identité et suivant un Plan.2 » L’articulation des trois dimensions en fait toute l’efficacité.
La confrérie des Frères musulmans a été créée par Hassan al-Banna en 1928 en Egypte sous domination britannique. Quelques années auparavant, en 1924, l’Atatürk avait mis fin au califat ottoman au nom de la laïcité de la nouvelle république turque. Le calife détenait l’autorité spirituelle sur tous les musulmans sunnites (80% de l’ensemble). Il appela au moment de la Première Guerre mondiale, l’empire ottoman étant allié aux empires allemand et austro-hongrois, tous les musulmans vivant sous domination coloniale de la Triple Entente à se soulever. Les effets militaires d’un tel appel furent négligeables mais ses effets religieux, culturels et sociaux furent considérables.
1 P. 27
2 P.31
Le frérisme est un système d’action, fondé sur une Vision, sur une Identité et suivant un Plan. L’articulation des trois dimensions en fait toute l’efficacité.
En effet, les Frères musulmans portent un mouvement de réforme de l’islam qui s’enracine dans une vie spirituelle et morale intense ayant vocation à réformer les mœurs puis peu à peu à irriguer la société et à fonder des institutions respectant la loi coranique. Tariq Ramadan, petit-fils du fondateur de la confrérie, présente l’œuvre de son grand-père comme envisageant « l’universalité du message coranique ou son caractère globalisant, au sens où il intègre toutes les sphères de l’existence humaine1. » Il présente ainsi les motivations et les priorités de l’action d’al-Banna : « Le réveil de la foi, le lien avec Dieu, l’approfondissement de la spiritualité et la purification des cœurs doivent être les fondements sur lesquels l’action sociale va s’appuyer pour transformer l’espace social et politique. » La logique interne de son discours « se fonde sur une conviction, s’appuie sur la promesse coranique et se nourrit d’un espoir inébranlable.2 »
Florence Bergeaud-Blacker déploie en dix chapitres les tenants et les aboutissants de cette stratégie de conquête de l’Europe, ère de civilisation particulièrement accueillante à l’islam en raison de l’effondrement du christianisme et de la protection étatique des libertés de culte et de conscience.
1 Aux sources du renouveau musulman, Bayard Editions, 1998, p. 227
2 Idem, p. 376-377
Notre société postchrétienne, consumériste et matérialiste, rongée par une quête indéfinie de « droits » individuels contraires à la loi naturelle, ne pourra résister à l’islamisation qu’en lui opposant une rechristianisation de nos mœurs et de nos institutions.
Cette stratégie intégraliste présente des analogies avec l’œuvre de Jean Ousset et l’Office international de la Rue des Renaudes. L’articulation vie spirituelle/ action sociale et culturelle à viser ultimement politique y est, encore une fois, centrale. Une différence majeure outre bien sûr le contenu doctrinal des finalités, est la place importante de la dissimulation et de l’art de la ruse (taqiya) dans le frérisme. Cela va de pair avec une intégration du temps long qui permet de temporiser, de nouer des alliances objectives avec des « mécréants » et de rechercher des compromis temporaires. L’appartenance à la confrérie est le plus souvent tenue secrète et ses membres forment des agents de terrain proposant toutes sortes d’activités humanitaires, sportives et culturelles pour rectifier la pratique de l’islam et convertir peu à peu les infidèles, déracinés de leur propre religion autochtone, le catholicisme.
Un des aspects les plus intéressants du livre est le constat argumenté de l’extrême vulnérabilité de pans entiers du personnel médiatique et universitaire à la rhétorique frériste.
2 P.31
La grande réussite en la matière est d’avoir réussi à largement orienter la recherche en sciences sociales vers l’étude de l’islamophobie, en la détournant proportionnellement de l’étude de l’islam dans ses diverses dimensions. Le discours de victimisation entretenue par l’islamo-gauchisme, dont le journaliste Edwy Plenel1 reste le modèle, a permis de décrocher nombre de financements publiques (notamment venant de l’Union européenne) pour lutter contre l’islamophobie. De même que la lutte contre l’homophobie est vectrice de la propagande LGBT, la lutte contre l’islamophobie permet de présenter les revendications musulmanes comme légitimes et bénignes. Ainsi l’islamisation de zones du territoire national progresse inéluctablement.
Ce mouvement de conquête « pacifique » et méthodique doit être connu, tel est l’objectif premier de ce livre à lire ; mais il doit aussi être combattu. Et là, on ne peut que rester dubitatif devant l’invocation habituelle de la laïcité et l’appel incantatoire aux « valeurs de la République ». La nature a horreur du vide, les civilisations aussi. Notre société postchrétienne, consumériste et matérialiste, rongée par une quête indéfinie de « droits » individuels contraires à la loi naturelle, ne pourra résister à l’islamisation qu’en lui opposant une rechristianisation de nos mœurs et de nos institutions. Tel est un des enjeux de notre longue neuvaine à sainte Jeanne d’Arc.
1 Pour les musulmans, La Découverte, 2014
2 Idem, p. 376-377