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Le Sénat a validé le 1er février un texte visant à compléter l’article 34 de la Constitution avec cette formule : «La loi détermine les conditions dans lesquelles s’exerce la liberté de la femme de mettre fin à sa grossesse». Ainsi la voie est ouverte pour que la Constitution de la République française considère la mise à mort d’un enfant à naître comme une liberté fondamentale. A tous ceux qui seraient tentés par le défaitisme (cf. texte ci-dessous du Père Doncoeur), le cardinal Ratzinger dans une conférence intitulée « Le droit à la vie en Europe »[1] exhorte à « ne pas se résigner ». Il convient aujourd’hui de relire ces lignes prophétiques pour nourrir notre espérance et notre prière.

Il commence en posant les objections que beaucoup de catholiques engagés dans les combats pro-vie se formulent à eux-mêmes : « Pourquoi ne pas nous résigner à avoir perdu cette bataille et ne pas mettre nos énergies au service d’initiatives qui puissent recevoir la faveur d’un plus grand consentement ? » (p. 51) Tant que la liberté de conscience est préservée, « pourquoi continuer à mettre ce drame sur la place publique ? » (p. 52)

Le cardinal-préfet répond en repartant de la Parole de Dieu, en l’occurrence le passage de la Genèse où Dieu s’adresse à Noé et à ses fils. « A chacun je demanderai compte de la vie de son frère. Qui verse le sang de l’homme, par l’homme verra son sang versé ; car à l’image de Dieu, Dieu a fait l’homme. » (Gn 9, 5-6). Et Joseph Ratzinger de commenter : « Par ces paroles, Dieu revendique la vie de l’homme comme lui appartenant de manière particulière : elle reste sous son immédiate et directe protection. C’est une chose ‘’sacrée’’ ». (p. 53) L’autorité de la société est instituée par Dieu en vue de la garantir. Cela signifie que la question de l’avortement n’est pas périphérique dans nos sociétés. Elle est centrale. « Il n’existe pas de ‘’petits homicides’’ : le respect de toute vie humaine est la condition essentielle pour que soit possible une vie sociale digne de ce nom. » (p.54)

[1] L’Europe de Benoît dans la crise des cultures, Parole et Silence, 2007

Il n’existe pas de ‘’petits homicides’’ : le respect de toute vie humaine est la condition essentielle pour que soit possible une vie sociale digne de ce nom.

Dès lors, on peut affirmer que la République française depuis 1975 et a fortiori si cette « liberté » est inscrite dans la Constitution nie le fondement même de son autorité. Affirmer que tuer un enfant à naître est une « liberté » revient à affirmer que « c’est la force qui fonde le droit » (p. 56). L’État en effet s’arroge le droit de conférer ou de retirer le droit à la vie à tel être humain, tout simplement parce qu’il est faible et ne peut revendiquer un tel droit. Personne pas même l’État ne peut revendiquer un tel pouvoir. D’où la contradiction qui mine notre régime politique prétendument fondé sur le respect de l’être humain : « On comprend alors combien un Etat, qui s’arroge la prérogative de définir celui qui est ou celui qui n’est pas sujet de droits, reconnaissant par conséquent à certains le pouvoir de violer le droit fondamental à la vie des autres à la vie, contredit l’idéal démocratique, duquel il continue pourtant à se réclamer, et sape les bases mêmes sur lesquelles il s’appuie. En acceptant en effet que l’on viole les droits du plus faible, il accepte du même coup que le droit de la force prévale sur la force du droit. » (p. 57)

Le regard que je porte sur l’autre décide de mon humanité.

C’est donc bien à une catastrophe du politique que nous assistons, c’est-à-dire à un effondrement même du fondement de sa légitimité. En effet, la finalité du politique est le bien commun dont l’âme est la justice. Introduire dans la Constitution la liberté de tuer un innocent parce qu’il n’est pas capable de se défendre et qu’il est nié dans son humanité est un acte d’une très grande violence symbolique. Il est urgent comme le rappelle le cardinal Ratzinger de convertir notre regard sur l’enfant à naître. « Le drame moral, la décision de choisir le bien ou le mal commence par le regard, par le choix de regarder ou non le visage de l’autre » (p. 59). L’avortement est la plus radicale des exclusions et elle commence dans le refus de voir celui qui est là. Il en va du devenir eschatologique de chacun d’entre nous et de notre société qui doit se souvenir que nous sommes comptables devant Dieu de la vie de notre frère.

« Si je peux accepter de réduire l’autre à une chose, de l’utiliser et de le détruire, je dois en même temps accepter les conséquences de ma manière de regarder, conséquences qui ont des répercussions sur moi : ‘’C’est la mesure dont vous vous servez qui servira de mesure pour vous’’. Le regard que je porte sur l’autre décide de mon humanité. Je peux le traiter simplement comme une chose dans l’oubli de sa dignité et de la mienne, sans considérer que lui et moi sommes à l’image et à la ressemblance de Dieu. L’autre est le gardien de ma dignité. » (p. 63).

Il est urgent que la France retrouve son âme, c’est-à-dire honore les promesses de son baptême pour que la justice redevienne la clef de voûte d’un Etat digne de son nom, ordonné au bien commun. « Le christianisme est cette mémoire du regard d’amour du Seigneur sur l’homme, en qui sont assurés sa pleine vérité et la garantie de sa dignité. » (p. 64)

 

Thibaud Collin