Benoît XVI n’a eu de cesse de manifester la pertinence de la foi chrétienne pour relever les immenses défis que soulève notre monde contemporain. Depuis quelques décennies la modernité a connu une mutation importante de ce qu’elle reconnaît comme son fondement : la raison. Alors que les Lumières considéraient la raison comme vecteur d’émancipation de la condition humaine et source de progrès moral et politique, force est de constater qu’après Verdun, Auschwitz et Hiroshima, la confiance de la raison en elle-même a laissé place à un doute de plus en plus profond. D’où le refus de certains d’accorder une quelconque légitimité à la raison soit au nom du fondamentalisme religieux, soit au nom du nihilisme. Benoît XVI, dans la continuité de la Tradition et du Magistère récent de l’Eglise, s’est employé à sortir de cette fausse alternative, mortifère pour les sociétés humaines : ou bien la raison absolue et autonome ou bien le chaos des rapports de force. Son diagnostic est que la raison moderne en se coupant de la lumière divine s’est rétrécie et a fini par rejeter hors du champ de la rationalité les questions sur la destinée humaine. Une raison qui se coupe de son enracinement métaphysique et religieux se réduit à sa seule dimension utilitaire et techniciste.
Tel est le dilemme de la raison politique contemporaine qui considère que les choix personnels et collectifs relèvent de valeurs, impossibles à enracinées dans un donné naturel commun. En effet, une valeur ne vaut que pour celui qui l’a choisie. On peut bien invoquer des valeurs collectives, comme en France les « valeurs de la République », mais celle-ci n’ont d’autres fondement qu’un consensus obtenu par une procédure d’abstraction : il s’agit de déterminer le plus petit dénominateur commun à des gens ayant des conceptions du monde différentes. Ainsi les valeurs de liberté, d’égalité, de solidarité ou de tolérance sont magnifiées mais elles ne sont que des coquilles vides. Le contenu que les législations vont y placer est ployable au gré des majorités, c’est-à-dire au gré de rapports de forces entre groupes sociaux. Le pluralisme de fait des sociétés contemporaines est alors invoqué pour réclamer la neutralité éthique et anthropologique de l’Etat. Ainsi au nom de la revendication illimitée des droits de l’individu, la confusion et l’indétermination croissent, au détriment des plus faibles et des sans-voix. Lorsque l’Eglise critique ce dispositif mental et politique, elle est accusée de faire preuve de dogmatisme et ses arguments sont dévitalisés comme relevant d’une confession religieuse particulière ne pouvant prétendre à un quelconque statut public.
La raison moderne en se coupant de la lumière divine s’est rétrécie et a fini par rejeter hors du champ de la rationalité les questions sur la destinée humaine.
Benoît XVI a magistralement répondu à cette critique en se situant non pas en dehors et contre la raison publique actuelle mais en se mettant à son service de l’intérieur pour qu’elle prenne conscience de son automutilation. Et il a procédé ainsi en retrouvant toute l’ampleur de ce qu’il nomme « la lumière divine de la raison ». Voyons la mise en œuvre d’une telle méthode en se limitant au seul champ de la politique.
Quel est le devoir essentiel du politique si ce n’est l’ordre juste de la société et de l’Etat ? « La justice est le but et donc aussi la mesure intrinsèque de toute politique. Le politique est plus simple qu’une simple technique pour la définition des ordonnancements publics : son origine et sa finalité se trouvent précisément dans la justice, et cela est de nature éthique. » (Deus caritas est, § 28) Or cela nécessite de se poser deux questions. A un niveau pratique et concret : « Comment réaliser la justice ? » ; et à un niveau plus fondamental : « Qu’est-ce que la justice ? » A la seconde question Benoît XVI répond que « pour pouvoir agir de manière droite, la raison doit constamment être purifiée, car son aveuglement éthique, découlant de la tentation de l’intérêt et du pouvoir qui l’éblouissent, est un danger qu’on ne peut jamais totalement éliminer. » Or quelle est la principale force purificatrice de la raison ? La foi. Telle est la mission de la doctrine sociale de l’Eglise : « contribuer à la purification de la raison et apporter sa contribution pour faire en sorte que ce qui est juste puisse être ici et maintenant reconnu, et aussi mis en œuvre. » L’Eglise quand elle procède ainsi ne cherche pas à imposer une vision singulière en forçant tous les citoyens à adhérer à une révélation divine. En effet, « la doctrine sociale argumente à partir de la raison et du droit naturel, c’est-à-dire à partir de ce qui est conforme à la nature de tout être humain. (…)
Elle veut servir la formation des consciences dans le domaine politique et contribuer à faire grandir la perception des véritables exigences de la justice, et, en même temps, la disponibilité d’agir en fonction d’elles, même si cela est en opposition avec des situations d’intérêt personnel. »
Comme ces mots résonnent avec une particulière force dans notre contexte national actuel ! Au moment où certains veulent inscrire dans la constitution un prétendu « droit à l’avortement », au moment où le gouvernement a engagé un processus permettant de légaliser l’euthanasie, il est de plus en plus évident que seule la foi peut ouvrir les yeux de la raison obscurcie par les structures de péché, en l’occurrence ici une conception erronée des droits de l’homme. L’avortement et l’euthanasie sont des actes intrinsèquement mauvais. Un tel jugement n’est pas fondé sur une croyance particulière cherchant à s’imposer à tous. Il est un acte de la raison pratique qui a pour critère du juste les biens fondamentaux de la nature de la personne humaine. La logique des intérêts est si puissante que les catholiques ont la responsabilité de lutter contre cet aveuglement. Par la prière et le jeûne. Par l’argumentation et la manifestation.
Demandons à sainte Jeanne d’Arc de nous guider dans cette lutte pour la justice et demandons à Dieu de nous donner sa grâce pour que nous puissions exercer les vertus que Jeanne a elle-même exercées dans sa mission.
Thibaud Collin